L’autonomie, le cadre et la créativité
Un récent sondage mené pour l’Union des auto-entrepreneurs (UAE) à l’occasion du Salon des Entrepreneurs révèle que 60% des jeunes (18–30 ans) envisagent d’entreprendre un jour et 26 % d’entre eux se désintéressent déjà du CDI.
On le sait, le monde du travail, et par conséquent de l’entreprise connaît une phase de transition et nous sommes à l’aube d’une profonde mutation des modèles installés, hérités des années de la révolution industrielle…
Pour qui s’intéresse un peu à la prospective, la théorie des 5 ruptures, selon Marc Halevy (Physicien et philosophe français) est particulièrement intéressante et mérite d’être rappelée en guise d’introduction à ce nouvel article.
Selon Marc Halevy, « toute notre Histoire est composée de grands cycles qui, en moyenne, durent 550 ans. La dernière transformation de ce type date de la Renaissance, qui symbolise le passage à la modernité, en venant de la féodalité. Le précédent était l’entrée dans la féodalité avec l’Empire Carolingien. Il faisait suite à l’Empire Romain, lui-même prenant la place des cités grecques. »
Si nous revenons sur ce principe du cycle des 550 ans, nous serions alors en train de vivre la fin d’un cycle (cf. fin de la renaissance 1600) et donc à l’aube d’une prochaine rupture.
Selon lui, notre époque serait marquée par 5 ruptures majeures:
1/ La rupture écologique : passage de l’abondance à la pénurie des matières premières/ ressources naturelles
2/ La rupture technologique : passage de la mécanique au numérique
3/ La rupture organisationnelle/ sociologique : passage de l’organisation pyramidale à l’organisation en réseau
4/ La rupture économique : passage d’une économie de masse à l’économie de l’intelligence et des valeurs
5/ La rupture philosophique : passage du « réussir dans la vie » à « réussir sa vie »
Cette théorie, en regard des nouvelles tendances « future of work »en entreprise (entreprise libérée, bien-être au travail, intelligence collective…) est le point de départ de ma réflexion aujourd’hui.
Quelles seront les entreprises, ou tout simplement les groupes d’humains de manière générale (associations, organisations, équipes, troupes, groupes…) qui réussiront à vivre cette transition dans le bon « sens » (cf. mon précédent article sur la « crois-sens ») ?
Je nourris une conviction : je crois au fait que parvenir à vivre ensemble tout en restant autonome est la clé.
Cela pourrait se traduire dans le monde de l’entreprise par participer à l’objectif commun tout en restant singulier. Etre autonome c’est aussi laisser de l’autonomie aux autres : à ses collaborateurs, à ses pairs, à ses chefs également (puisque nous sommes encore pour quelques années dans une société pyramidale avec des chefs) et j’irai plus loin, en responsabilisant tout un chacun. Laisser de l’autonomie ou être autonome qu’est-ce que ça veut dire? Acter l’autonomie c’est valoriser la singularité de chaque individu.
Je ne suis pas en train de dire que chaque individu doit être un électron libre qui ne suit que ses propres intérêts. Un individu c’est bien un être unique de nature qui cherche à évoluer (a priori tout être humain cherche à grandir) au sein d’un ensemble humains, et qui se faisant, participe à l’évolution de plus grand que lui : le groupe.
L’entreprise a besoin de se doter de travailleurs soudés et solidaires capables de collaborer (ce que l’IA serait incapable de faire aujourd’hui, soit dit en passant). Mais aussi capables de penser, créer, organiser, s’organiser de façon individuelle. Cela ne s’oppose pas, au contraire. C’est quand la valeur intrinsèque de chaque individu est partagée collectivement, que la fameuse intelligence collective naît ! On le sait pour optimiser une équipe à qui on demande de créer (équipe Agile, ou groupe de travail en session de créativité par exemple) il faut qu’il soit composite, avec des profils, et compétences variées. « Tout seul on va vite, ensemble on va plus loin ». Ce n’est pas pour rien que ce proverbe africain est devenu si célèbre.
Alors revenons à la question première ; quel est l’objectif que vous vous fixez? La performance à tout prix ? la vitesse ? (qui peut nous amener dans le mur. Mais parfois il faut se prendre le mur le plus vite possible pour comprendre que c’était une impasse) ou l’expansion ? Aller plus loin oui, en permettant aux êtres humains de progresser également, d’accord.
Et en tant qu’être humain, se laisse-t-on soi-même cette autonomie ? Si on travaille dans cette entreprise nouvelle génération qui nous fait suffisamment confiance pour nous laisser cette autonomie, s’y autorise-t-on réellement ? Parvient-on à trouver trouver notre place dans l’entreprise tout en capitalisant sur notre singularité? Ou se laisse-t-on absorber, engloutir, emprisonner dans un rôle assigné (ou auto-assigné ?) et forcément restreint ?
Sait-on se responsabiliser en trouvant notre véritable chemin personnel au sein de l’organisation ? Celui qui nous permet de créer, d’apporter une véritable valeur. Il faut considérer l’entreprise dans son ensemble, la comprendre, partager sa vision pour dessiner sa propre fonction véritable au sein de celle-ci.
L’enjeu est de trouver le projet, la mission, l’action qui nous fait évoluer, qui développe notre personne, dans ce cadre mouvant et évolutif qu’est l’entreprise, tout en la servant.
Ce cadre, même mouvant, nous est nécessaire pour créer.
Il faut une organisation, c’est-à-dire la rencontre, collaboration ou confrontation à d’autres humains pour que l’individu évolue réellement.
Nier l’importance de l’autonomie des autres mais également la sienne c’est refuser l’évolution du groupe. Refuser l’autonomie c’est « ne pas écouter », et donc se priver d’opportunités. Notez bien que je parle dans les deux sens : managers et managés. Enterprise et collaborateurs. Groupe et individu.
Un manager purement directif se prive d’entendre les bonnes idées qui pourraient nourrir son dessein, de voir les compétences qui matchent avec une part de son plan. De même un managé buté et dans la critique systématique du système se prive d’opportunités d’évoluer, de créer son propre parcours original dans un standard qui n’est que le cadre sans le tableau.
Cela fonctionne aussi entre pairs: tellement de projets s’effilochent quand les collaborateurs s’enferment dans leur unique périmètre. Et ce, à toutes les strates, jusqu’au comités exécutifs. Les directeurs enfermés dans leur mission/ambition perdent la vue d’ensemble et leur propre intérêt à évoluer et faire évoluer la structure. La confiance, la liberté dans un cadre donné, avec des objectifs partagés et clairs, l’autorisation que l’on donne de créer mais aussi celle que l’on se donne de réfléchir par soi-même, d’innover au sein de l’apparente contrainte, c’est proposer, c’est offrir de la valeur, c’est aller plus loin, avec les autres.