Tentative d’introduction au concept d’innovation par le design
Ou « de l’expérience désignée »
Je pratique l’innovation par le design depuis quelques années et j’évolue donc dans une discipline nouvelle ou chaque acteur se fait créateur.
Dans l’innovation nous apprenons beaucoup en marchant (merci l’itération !) et c’est en marchant et en faisant que nous construisons aussi théories et pratiques encore en devenir. C’est ce qui est passionnant !
Aujourd’hui, le design (et l’innovation par le design) sont des concepts encore méconnus du plus grand nombre. Lorsqu’en soirée on me demande quel est mon métier, les termes d’innovation et de design interpellent et nécessitent explications. Ainsi je prends ma plume pour tenter de partager ce concept de design, son sens profond, sa philosophie plus que la pratique et les outils qui en découlent (et sur lesquels la littérature spécialisée est prolixe).
Au début (et c’est encore le cas en fait) on parlait de « Design Thinking », parce qu’il est vrai que, vu la façon dont cette discipline est comprise et appliquée dans les grands groupes néophytes, dépourvus de Direction du Design ou de l’Innovation, il était plus pertinent de parler de « manière de penser », de mindset, plus que de véritable « design ». Pratique le mindset ! Ça permet de dire qu’on fait du design ou de l’agile.
Maintenant, je vois souvent des articles ou des publications sur les réseaux sociaux, qui affirment qu’on ferait du design sans le savoir. Je ne crois pas que ce soit vrai. Ou alors, en effet, comme Monsieur Jourdain fait de la prose. De la prose qui n’est pas du Molière. Tout dépend où l’on place le curseur.
Le design s’enseigne dans de grandes écoles internationales dédiées. Et je ne crois pas que 2 jours de formation avec un cabinet d’innovation permettent réellement d’appréhender cette pratique.
Car avant la pratique, il y a l’histoire du design. Et en découle la philosophie.
Tentons d’expliquer cette philosophie du design donc. Et ce que sont les dits « designers ».
Le terme design vient de l’anglais et c’est déjà une première barrière à la compréhension globale de ce terme pour nous français intellectuels et cartésiens. Il ne s’agit pas de dessin mais de Conception. Si on joue sur les mots c’est davantage de dessein que de dessin qu’il s’agit ;) .
Le designer s’attaque à une problématique à résoudre et donc une stratégie à développer. Il part du problème. Déjà cela est nouveau en entreprise où les projets partent généralement d’une solution a priori. Le designer ne répond pas à un cahier des charges mais intervient bien plus en amont. Quand on lance une démarche de design on accepte donc le fait que l’on ne sait pas où l’on va. Quand j’annonce cela à mes clients, patrons, commanditaires, je vois tout de suite à leur réaction s’ils ont compris la philosophie du design. S’ils sont partants pour l’aventure du « je ne sais pas quelle est la solution finale, mais je m’autorise à être ouvert, à explorer » c’est gagné ! la plus grosse partie est déjà faite. Ne reste plus pour moi qu’à dérouler.
Pour découvrir et cerner le problème auquel on s’attaque, le point de départ est l’usage. L’usage actuel et ses « pain points » conscients ou (plus intéressant) non conscients (une poignée de porte par exemple. Sans s’en rendre compte, il arrive souvent de glisser sa manche ou l’anse de son sac à main dans la poignée. On ne conscientise pas ce problème. C’est un pain point non conscientisé. Mais créer la poignée arrondie au bout qui évite ce désagrément c’est déjà créer un nouvel usage, un nouveau besoin.
L’usage implique l’usager, c’est-à-dire l’humain. C’est en cela que le design est « Human centric ». Le principe des buzz words c’est qu’ils perdent leur sens. J’essaie ici de le leur restituer.
Malgré les apparences et les tendances actuelles on voit bien que le principe de « human centric » n’a rien à voir avec une cause sociale ou durable. Non, car le design s’inscrit avant tout dans un contexte, une époque, une fugacité, un instant « t ». Surtout lorsqu’il est le vecteur d’innovations. Et pour tout dire, je ne vois ce que peut être l’objectif final du design si ce n’est l’innovation ? Le design est bien un processus créatif. Faire, produire une nouveauté (même infime, même incrémentale) est la finalité.
Ainsi on peut être « designer d’objet » comme notre cher Starck qui a conçu des chaises avec un nouveau « design » c’est-à-dire un nouvel usage et une nouvelle ergonomie. Très proches de ce type de designer, nous avons aussi les « designers de produit » comme les équipes de designers chez Apple qui ont la responsabilité du look et de l’ergonomie de l’objet tenu en main. Se dessine déjà l’idée d’interface. Comment l’usager va entrer en contact avec le produit, ou plutôt avec les fonctionnalités du produit. L’interface ; l’expérience que j’ai avec le produit est tout aussi importante que les fonctionnalités de celui-ci. De là on comprend mieux qu’il est aussi possible de designer des services, et des expériences. On commence à quitter le monde matériel pour l’abstraction du vécu. Et le mot « usage » prend tout son sens.
Ainsi, il y a des designers de service (pensez au service Amazon, la facilité de commande, achat, livraison), et proches d’eux des designers d’expérience(s). Les fameux UX designers (user experience designers). Qui ne sont pas des ergonomes, ni des UI (user interface, plus proches des graphistes) même si les métiers se complètent et ont des frontières communes avec l’UX design.
Chez Disney, par exemple, les designers d’expérience sont en charge de concevoir le parcours, « le morceau de vie » que vous allez « expérimenter » avant même votre entrée dans le parc, et ce jusqu’à ce que vous retourniez à votre voiture ou votre RER.
Qu’allez-vous entendre avant d’entrer ? cette petite musique signée Disney qui, pour peu que vous ayez gardé votre âme d’enfant, commence déjà à vous saupoudrer des étoiles dans les yeux et dans le cœur (important le cœur, dans l’expérience !). Le trajet qui vous mène à l’entrée se transforme en expérience, il y a du suspense, une attente, du trac presque, oserais-je dire du désir ? oui bien-sûr un désir qui s’immisce en vous. Et là vous comprenez le sens profond du « Désirable » dans le fameux triptyque « Désirabilité / Faisabilité / Viabilité » tant rabâché.
Qu’allez-vous ressentir en entrant, en passant sous ce portail qui vous surplombe ? Vous vous sentez petit, oui vous vous sentez rétrécir, puisque surplombé. Tel Alice, vous atteignez la taille de l’enfant qui sommeille en vous.
Qu’allez-vous voir ? « vous en mettre plein la vue » est bien l’objectif à atteindre ici, pour les équipes de designers d’expérience. Des chemins variés et fantastiques s’ouvrent devant vous. Un château de conte de fée vous fait face, alors qu’à l’arrière-plan une île de pirates se dessine dans la brume. Alors que vous tentez d’appréhender ce nouveau paysage, des personnages bien connus viennent vous faire coucou et semblent exaltés malgré leur silence. Pour combler ce silence, la musique a pris de l’ampleur et semble vous indiquer un paroxysme, un andante (pour les musiciens). Emus, désorientés vous tentez de décider d’un programme quand l’odeur exquise des bretzels vous chatouille les narines. Si les designers avaient pu « jouer » sur la température ressentie, ils l’auraient fait (et peut-être y travaillent-ils actuellement ?).
Vous comprenez mieux les composantes de l’expérience. De là sont déclinés des outils, des démarches et méthodes, des templates que vous utilisez si vous êtes adeptes du Design Thinking. Les « persona » et leur « carte d’empathie » qui aborde les 5 sens, plus la pensée (qui serait le 6ème sens ?), les parcours client qui détaillent chaque micro-expérience à toutes les étapes du cheminement, qu’il soit physique, virtuel, ou digital etc…
Ainsi vous avez les premières clefs pour appréhender un peu mieux le fameux mindset du métier de designer d’expérience, qui peut lui-même se décliner en designer d’organisation (si l’expérience de l’entreprise le nécessite) et bien-sûr designer de stratégie, qui n’est autre que la conception de l’expérience globale que l’entreprise va vivre et faire vivre à ses clients et employés.
Le designer d’expérience est celui qui conçoit l’expérience future de l’usager, donc celui qui conçoit l’expérience de l’humain avec tout ce que cela évoque. On est dans la Création. C’est presque mystique comme métier quand s’y penche un peu !